Petite poésie Métropolitaine
Je vous présente Fantomette et sa super plume ! Attention, fermeture des portes…
– La District Line – la verte – 8.15 du matin – London tube
– foule habituelle – direction la City – ou ailleurs – oui ailleurs aussi s’il vous plait
– costumes et tailleurs de rigueur – nez rivés sur des appareils électroniques
– illusion d’une connection à un monde qui s’en fout, et continue de tourner, de plus belle, en riant
– ‘Mind the gap please’
– après quelques stations, des sièges se libèrent
– s’assied en face un géant au crâne ras – un lourd manteau – un regard tout aussi lourd – des baskets aux pieds – bien trop blanches ces baskets – il les essuie d’ailleurs avec un petit mouchoir – en prend un soin curieux – exagéré
– n’a ni costume – ni appareil électronique – la District Line est trop étroite pour lui – de toute évidence
– visage fermé – slave – beaucoup de polonais à Londres – et de français – et de nous tous – mélangés
– le géant est empêtré sur ce petit fauteuil de métro taille enfant – mais s’ adapte – essaie du moins
– je regarde – sans voir – et puis je vois
– doucement – un coude sur chaque genoux – il se penche et se concentre : il sort un fil et une aiguille – tout deux perdus dans ces trop grandes mains – et il enfile le tout – patiemment
– la première étape accomplie il se tourne sur le coté – avec peine mais légèreté néanmoins (toujours ce petit siège ridicule) pour ne pas heurter la dame en rouge à coté de lui
– ces mains (slaves c’est décidé) – sont belles
– il attrape alors gauchement l’objet de son tourment : ce bouton au milieu de son grand manteau qui menace de tomber si on ne vient pas dare dare le remettre dans les rangs
– et là, le petit travail d’araignée commence
– il coud, il coud, il coud, tellement précisément, lentement, consciencieusement qu’on ne peut lever le regard de cette aiguille matinale qui nous fait son ballet
– l’espace d’une seconde je lève les yeux et croise le regard de la dame en rouge qui me sourit – c’est fou comme deux inconnus peuvent se dire de choses l’espace d’un sourire échangé
– mais vite je retourne à l’ouvrage qui se précise avec grâce
– surtout qu’il termine son oeuvre avant que je ne doive sortir
– les stations défilent – Embankement – Temple – Blackfriars
– le fil se réduit lentement – le bouton retrouve petit à petit sa dignité – le dernier millimètre de fil va être coupé d’un coup sec pour en finir en beauté
– la tension retombe – tout rentre dans l’ordre – à temps
– station Monument – je descends – une envie d’applaudir ou de l’embrasser
– « Mind the gap please – Mind the gap »
– je me retiens – et sors – un léger pincement au coeur – pensant qu’une petite femme – quelque part – sans doute au fond de la Pologne – a engendré ce géant qui – dans le metro – le matin – coud son bouton – comme elle le lui a sans doute appris